Première conséquence : l’addiction

Première conséquence : l’addiction

Une étude de 2016 relatée par le sociologue G. Broner, indique que 76 % des jeunes de 18-24 ans se sentent anxieux en cas d’absence de couverture réseau pour leur téléphone, et qu’il était plus facile pour eux de se priver de nourriture ou de relation sexuelle que d’une connexion internet et d’un accès aux réseaux sociaux. Leur peur : rater quelque chose ! « L’empire de ces sollicitations cognitives s’est progressivement étendu, au point qu’on a créé un néologisme : le Fomo (fear of missing out) “ Ainsi le réel s’est fractionné en une multitude de micro-événements qui créent une véritable addiction » explique Bronner dans Apocalypses cognitives, 2021.En 2019, le rapport de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (cf. https://www.ofdt.fr) a établi un niveau d’usage des écrans en 2017 : 68 % des jeunes de 17 ans déclarent ne jamais éteindre leur portable lorsqu’ils dorment, les 13-19 ans consomment 15 h 11 de téléphone portable en moyenne par semaine. Selon Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm, le temps d’écran atteint des niveaux astronomiques dans les pays industrialisés : près de 7 heures par jour pour les 13- 18 ans. La consommation cumulée des adolescents représente 2,5 fois plus de temps que le temps scolaire…

Deuxième conséquence : le cercle vicieux du mal-être

Deuxième conséquence : le cercle vicieux du mal-être

Ce qui peut apparaître aux jeunes, dans un premier temps, comme un échappatoire par rapport à leurs difficultés identitaires, se retourne finalement contre eux : les shoots de dopamine engendrent une dépendance bien difficile à combattre, surtout avec des systèmes attentionnels encore en construction. Ils sont donc les premières victimes de ce rapt organisé de l’attention.

Mais pire encore, en s’emparant de ce précieux trésor qu’est l’attention, le numérique participe au  malaise des jeunes : ce qui est congédié avec le smartphone, c’est le temps de l’attente, de l’ennui et aussi de la rêverie… Ce temps indispensable à la production de pensée. Par conséquent la créativité du jeune diminue et, avec elle, l’estime de soi aussi. De facto la confiance en soi est défaillante, les résultats scolaires chutent…

Ces conséquences, difficiles à vivre, incitent le jeune à s’échapper davantage dans ses addictions : c’est ainsi que s’installe le cercle vicieux du mal-être…

L’éco anxiété : une angoisse grandissante

L’éco anxiété : une angoisse grandissante

Le réchauffement climatique est aujourd’hui une réalité. La prise de conscience du phénomène impacte nos émotions. B. Barnett et A. Amit, psychiatres à la clinique de Cleveland aux Etats-Unis, montrent qu’il est effectivement possible d’identifier et de mesurer un type d’anxiété précis, dû aux problématiques climatiques. Ainsi, selon la récente enquête américaine citée en décembre 2021 dans Cerveau et psycho n° 138, ce sont les jeunes qui sont les plus concernés par l’éco-anxiété : le sentiment climatique suscite chez 57 % des adolescents un sentiment de peur et chez 43 % un sentiment de désespoir. En France ce sont 60 % de nos adolescents de 15-25 ans qui se disent préoccupés, craignant des conditions de vie « extrêmement pénibles ». Antonio Pelissolo (2021), psychiatre et chef de service de psychiatrie sectorisée au centre hospitalier Henri-Mondor de Créteil, parle de cette anxiété comme d’une « appréhension diffuse, face à un avenir incertain ». Pour quelques personnes, cette peur est vécue comme un traumatisme, à un détail près, précise le psychiatre, ce n’est pas post-traumatique mais pré-traumatique. Ainsi l’éco-anxiété, qui touche principalement nos jeunes, est-il un traumatisme par anticipation, une peur réelle de l’avenir : « pour beaucoup de jeunes, l’horizon qui se dresse devant eux est sombre », écrivent Barnett et Amit.

La crise sanitaire : une sédentarisation sans précédent

La crise sanitaire : une sédentarisation sans précédent

Dans un premier temps, la connexion a permis de sauver des revenus professionnels ainsi que notre relation aux autres : « le bocal de nos écrans nous a permis de rester ensemble, et de ne pas associer notre immobilité à une réclusion effective et parfois affective. Immobiles dans l’espace, nous avons continué de nous mouvoir en société » (Patino,Tempête dans le bocal, 2022, p. 23). 

Mais la pandémie a aussi généré peurs et solitudes, a transformé notre rapport au travail, et tout notre rapport aux autres : « les signaux qui passent par l’écran sont incomplets, écrit Patino (2022, p. 28), et notre cerveau ne sait pas comment les interpréter […], qu’il s’agisse de la complexité d’une relation ou de la dimension non verbale de la communication. […] La dissonance cognitive qui en résulte provoque une sensation d’intense fatigue ». S’ensuivent des problèmes de sommeil, d’attention, de prise de poids… Ainsi la crise sanitaire a transformé le monde rapidement et a rajouté de l’anxiété à l’ensemble des populations. Les jeunes, privés qui plus est des passions qu’ils auraient pu pratiquer pour diminuer leur stress, n’ont pas été épargnés…

Les injonctions contradictoires subies par les adolescents et leurs conséquences

Les injonctions contradictoires subies par les adolescents et leurs conséquences

A l’école déjà, par souci de l’épanouissement de l’enfant en tant que sujet, on exhorte nos élèves à « penser par eux-mêmes ». Voilà une intention très louable, mais encore faut-il avoir matière à penser, et donc accepter que l’autre soit le vecteur du savoir et de la connaissance. Or dans notre société où l’affirmation de soi passe avant le lien aux autres, nous faisons croire à l’adolescent qu’il peut vraiment penser par lui-même, qu’il n’a pas besoin de l’autre : nous lui faisons croire à sa toute puissance et à son indépendance. C’est ce que Marcelli appelle « l’idéal narcissique contemporain » (LÉtat adolescent, Miroir de la société 2013, p. 62). Mais cette injonction à penser par  soi-même ramène le jeune à ses questionnements identitaires : « pour penser par moi-même, il faut savoir qui je suis, ce que je veux » … Ainsi, l’intention de la société, relayée par l’école, ne fait-elle qu’ajouter doutes et angoisses

 A l’école encore, la pression est forte. Joëlle Proust, philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS et membre du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, rappelle dans L’heure philo sur France Inter le 4 février 2022, les conditions optimales pour développer la curiosité et l’envie d’apprendre : le cadre doit être bienveillant, le rythme d’apprentissage doit être celui de l’élève, le jeune ne doit pas être marqué par un jugement négatif. On est souvent loin de ce cadre idéal dans notre institution, et on comprend que l’apprentissage peut être douloureux pour certains jeunes. Ceux-là, en réaction, peuvent se réfugier dans une inhibition cognitive, ce qui est bien sûr contre-productif puisque, comme nous le rappelle aussi la philosophe, « plus on ouvre les alternatives de pensée, plus on peut envisager des solutions innovantes ». Ainsi, la pression scolaire et la mauvaise image que peuvent renvoyer les notes conduisent le jeune à ne plus suffisamment produire de penser pour faire face à ses difficultés. Enfin, au-delà de l’institution scolaire, la société toute entière assène des injonctions paradoxales. En effet, nos jeunes “doivent” s’affirmer, faire des choix, préparer leur avenir, s’autonomiser… Or la société les invite en même temps constamment au bonheur : « Chaque minute de souffrance est une minute perdue dans une injonction au bonheur permanent » (Marcelli p. 163). Au nom de cette nécessité à être heureux, nous, parents, n’acceptons plus les souffrances de nos jeunes, ne leur laissons pas l’espace des doutes. Alors l’adolescent peut se réfugier dans l’excès pour fuir de potentielles souffrances. S’il a des ressources, de la créativité, cet excès peut s’exprimer dans des activités artistiques ou musicales. S’il n’a pas de ressource, s’il est plus fragile, la drogue, l’alcool et les addictions de tout genre pourront être des portes de sortie : « Ils vont s’enfoncer dans un sentiment de perte de sens, de déréliction, s’effondrer et consommer des produits […] pour s’anesthésier » (Marcelli p. 163).