Le mécanisme de l’attraction numérique

Le mécanisme de l’attraction numérique

La démonstration des tactiques cognitives utilisées par les géants du Net pour cambrioler l’attention a été maintes fois répétée. On sait qu’ils actionnent le fameux circuit de la récompense, exactement comme le font les drogues : en actionnant ce circuit, notre cerveau produit de la dopamine, neurotransmetteur qui excite le neurone et donne donc un plaisir immédiat. Or, les neurones voient leur niveau d’excitabilité s’élever à mesure qu’ils sont excités… Pour obtenir le même effet, il en faudra toujours plus; cela décrit exactement ce qui se produit dans les phénomènes d’addiction. Les GAFAM, on le sait, utilise sciemment des tactiques cognitives dopaminergiques (par les likes, les notifications diverses), enchaînent des vidéos qui, lorsqu’elles ne sont pas vues en entier, créent un sentiment d’incomplétude cognitive, incitent à faire défiler sans fin un film d’actualité, créent la peur de manquer une information cruciale… “tout est organisé pour nous faire prendre le vide ou le pas grand-chose pour un événement » écrit G.Bronner dans Apocalypse cognitive, 2021.

Première conséquence : l’addiction

Première conséquence : l’addiction

Une étude de 2016 relatée par le sociologue G. Broner, indique que 76 % des jeunes de 18-24 ans se sentent anxieux en cas d’absence de couverture réseau pour leur téléphone, et qu’il était plus facile pour eux de se priver de nourriture ou de relation sexuelle que d’une connexion internet et d’un accès aux réseaux sociaux. Leur peur : rater quelque chose ! « L’empire de ces sollicitations cognitives s’est progressivement étendu, au point qu’on a créé un néologisme : le Fomo (fear of missing out) “ Ainsi le réel s’est fractionné en une multitude de micro-événements qui créent une véritable addiction » explique Bronner dans Apocalypses cognitives, 2021.En 2019, le rapport de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (cf. https://www.ofdt.fr) a établi un niveau d’usage des écrans en 2017 : 68 % des jeunes de 17 ans déclarent ne jamais éteindre leur portable lorsqu’ils dorment, les 13-19 ans consomment 15 h 11 de téléphone portable en moyenne par semaine. Selon Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm, le temps d’écran atteint des niveaux astronomiques dans les pays industrialisés : près de 7 heures par jour pour les 13- 18 ans. La consommation cumulée des adolescents représente 2,5 fois plus de temps que le temps scolaire…

Deuxième conséquence : le cercle vicieux du mal-être

Deuxième conséquence : le cercle vicieux du mal-être

Ce qui peut apparaître aux jeunes, dans un premier temps, comme un échappatoire par rapport à leurs difficultés identitaires, se retourne finalement contre eux : les shoots de dopamine engendrent une dépendance bien difficile à combattre, surtout avec des systèmes attentionnels encore en construction. Ils sont donc les premières victimes de ce rapt organisé de l’attention.

Mais pire encore, en s’emparant de ce précieux trésor qu’est l’attention, le numérique participe au  malaise des jeunes : ce qui est congédié avec le smartphone, c’est le temps de l’attente, de l’ennui et aussi de la rêverie… Ce temps indispensable à la production de pensée. Par conséquent la créativité du jeune diminue et, avec elle, l’estime de soi aussi. De facto la confiance en soi est défaillante, les résultats scolaires chutent…

Ces conséquences, difficiles à vivre, incitent le jeune à s’échapper davantage dans ses addictions : c’est ainsi que s’installe le cercle vicieux du mal-être…